Jules Verne et l'Algérie
En 1855, la conquête de l’Algérie se poursuit. Jules Verne a 27 ans et écrit des opérettes, des comédies, des poèmes et même des chansons. Il fait alors la connaissance du capitaine Abatucci, commandant d’une compagnie de zouaves qui lui demande d’écrire une » chanson de marche « . En effet, ce corps d’infanterie, créé en 1831 en Algérie, vient de s’illustrer en Crimée et ne possède pas d’hymne célébrant ses exploits. Jules Verne, patriote, conçoit » En avant les Zouaves » (sur une musique d’Alfred Dufresne), chant qui restera peu connu et sera vite détrôné par Le Clairon de Déroulède (1874), remplacé à son tour par le célèbre » Pan ! Pan ! L’Arbi « , où il est plus sérieusement question de cet étendard des zouaves, authentique régiment des Français d’Algérie pendant les deux grandes guerres, qui flottait » calme et vainqueur, sous le soleil brûlant de l’Algérie « , avant de » voler au cri d’appel de la mère Patrie » ou de se déployer au vent de la Crimée « .
Jules Verne ne marque pas les esprits comme parolier mais connait son premier succès en 1862 avec la publication de Cinq semaines en ballon (1) dont l’action se situe en Afrique centrale. Entre 1860 et 1870, la colonisation de l’Algérie suit son cours, deux des cousins de l’auteur y font une carrière militaire (2) et son beau-frère et ami, Auguste Lelarge, s’installe à Oran. Ce sont eux qui lui fournissent les principaux renseignements lui permettant de rédiger, en 1866, six pages sur les nouveaux départements d’Algérie dans sa Géographie illustrée de la France et des colonies. Bien qu’à usage » pédagogique « , il y vante les températures, » le climat d’Algérie est l’un des plus beaux du monde » et met en valeur l’action colonisatrice et le progrès apporté par la France.
Il écrit ensuite plusieurs ouvrages à succès comme Les enfants du capitaine Grant (1868), Vingt mille lieues sous les mers (1870), De la terre à la lune (1872), etc., mais c’est dans Hector Servadac, voyage à travers le monde solaire, en 1877, que Jules Verne choisit pour la première fois l’Algérie comme cadre d’un roman.
Dans ce livre, la terre est heurtée par une comète ; une portion de la planète est alors propulsée dans l’espace. Sur ce morceau de terre errant dans la galaxie, seule une partie, surnommée » L’île Gourbi « , est » féconde et agréable « .
» Ce cadre charmant « … » dont de nouvelles plantations avaient fait un riche et vaste verger » n’est autre qu’une évocation de Mostaganem et de ses alentours.
Des l’année suivante, Jules Verne souhaite découvrir par lui-même la Méditerranée et l’Algérie. Il entreprend une croisière à bord de son voilier » Le Saint-Michel III « , accompagné de son fils Paul, de son petit-fils Gaston, de Jules Hetzel (fils) et de Raoul Duval. Ils visitent Lisbonne, Cadix, Gibraltar, Tétouan puis Oran, Mostaganem et Alger. A Mostaganem, il retrouve Georges Allotte de la Fuïe et, à Alger, il est reçu par de nombreuses personnalités.
Charmé par ce premier voyage, il repart en 1884 et tient cette fois-ci un journal de bord (malheureusement perdu). A chacune de ses escales, il est accueilli chaleureusement par la population et la presse algérienne locale lui consacre un article. A Oran, l’accueil est particulièrement enthousiaste et pas moins de sept journaux d’Oran commenteront l’événement. On peut notamment citer l’hebdomadaire » L’Algérie comique et pittoresque » qui revient sur cette visite dans deux numéros et lui consacre sa page de couverture le 15 juin 1884. La caricature représente Jules Verne assis au fond de l’eau, avec comme horizon la ville d’Oran et la colline de Santa-Cruz.
Il est invité par la Société de géographie d’Oran à un grand punch en présence de la presse, de militaires et de notables de la ville. Il reprend ensuite sa route vers Alger puis Bône avant de rejoindre Tunis, Carthage et de rentrer en France.
Suite à ces deux périples, Jules Verne écrit en 1885 Mathias Sandorf dont l’action se situe en majorité en Méditerranée. Il y évoque les similitudes entre la France et l’Algérie dans des passages comme celui-ci : » Les riches provinces de cette Algérie qu’on a proposé d’appeler la Nouvelle-France et qui en réalité est bien la France elle-même « . On note un engouement grandissant pour ces nouveaux départements dans Robur le conquérant en 1886 ou Jules Verne décrit Bône, » et les gracieuses collines de ses environs « , Oran, » la pittoresque » ou encore Philippeville » qui semble avoir été découpée dans le Bordelais ou les territoires de Bourgogne « . Il mentionne également le Sahara et la construction du transsaharien (alors un simple projet).
Mais c’est dans Clovis Dardentor, roman humoristique paru en 1896, que Jules Verne décrit avec le plus de précision et de passion Oran, ville qui tient » le premier rang entre les villes algériennes » et l’Oranie, département qui l’a particulièrement séduit puisque le climat y » est le plus sain d’Algérie « .
Le livre raconte l’épopée de deux jeunes gens sans fortune, Taconnat et Lornans, qui veulent se faire engager au 7e chasseurs d’Afrique. Ils sont accompagnés dans leur périple, de Dardentor, exubérant tonnelier de Perpignan, et du couple Désirandelle. Tous débarquent à Oran et visitent la ville dont Jules Verne décrit les différents quartiers et la population hétéroclite, puis partent en voyage dans la province oranaise avec la Compagnie des chemins de fer algériens. » L’itinéraire avait été convenablement choisi. Des trois sous-préfectures que possède la province d’Oran, Mostaganem, Tlemcen et Mascara, ledit itinéraire traversait les deux dernières, et, des subdivisions militaires – Mostaganem, Saida, Oran, Mascara, Tlemcen et Sidi-Bel-Abbès – en comprenait trois sur cinq « . Jules Verne insiste dans ses longues représentations de ce trajet en train, sur la ressemblance entre les villages d’Oranie et ceux des campagnes françaises, sur la mise en valeur du pays avec ses routes nationales « , bordées de talus propres et de bornes militaires.
Il dépeint notamment Saint-Denis du Sig et ses environs comme » des terres d’une exceptionnelle fertilité, des vignobles superbes qui tapissaient le massif isolé auquel s’appuie la bourgade, sorte de forteresse naturelle facile à défendre » ; Mascara est décrite telle » l’une des plus jolies villes d’Algérie « . Arrivés à Saïda, ils poursuivent par une promenade en caravane dans le Tell, région » la plus favorisée de la province d’Oran » pour arriver à Daya.
Dardentor et ses comparses ferment ensuite le cercle en passant par Sebdou » située au milieu d’un pays dont les sites sont de toutes beauté, le climat d’une salubrité exceptionnelle, la campagne d’une fertilité incomparable « , s’arrêtent à Tlemcen » si jolie qu’on l’appelle la Grenade africaine » puis Lamoricière et Sidi-Bel-Abbès. Il s’inspire largement du guide Joanne dans ces descriptions mais fait également appel à ses propres souvenirs. Il n’oublie pas de rendre hommage à l’hospitalité des populations et aux produits locaux en écrivant » ce repas fut arrosé des bons vins d’Algérie, principalement le blanc de Mascara « .
Enfin, Jules Verne évoque de nouveau l’Algérie et plus largement l’Afrique du Nord dans son dernier roman » L’invitation de la mer » paru l’année de sa mort, en 1905. Il s’inspire du projet de » mer intérieure « , propose par le commandant Roudaire (1874) et imagine une importante transformation d’une partie du Sahara en un immense lac intérieur, transformation à laquelle sont opposées les tribus locales. Il y décrit avec verve l’occupation et la pacification française, les mœurs des Touaregs, à travers les espoirs et aventures de son héros, l’ingénieur Schaller, qui affirme : » Cent ans après que le drapeau français fut planté sur la casbah d’Alger, nous verrons notre flottille française évoluer sur la mer saharienne « .
Jules Verne, au travers de ses différents romans, a donc dépeint avec passion l’histoire de l’Algérie françaises du XIXe siècle. Il ne s’est pas attaché, comme ses contemporains, à l’exotisme et au pittoresque du » pays « , mais plutôt aux bienfaits de la colonisation. Il a souligné la ressemblance croissante entre les trois départements d’Afrique du Nord et la métropole, loué le travail réalisé par les colons et admiré la mise en valeur des terres. Opposé à la colonisation » à l’anglaise « , il approuvait les méthodes de la France qui » ont profité à tous les habitants de l’Algérie » et croyait dur comme fer en l’Algérie française.
Notes :
(1) Apres avoir signé son premier contrat d’édition avec M. Hetzel.
(2) Maurice Allote de la Fuÿe, officier du génie et archéologue et Georges Allote de la Fujie, officier de spahis et futur général.
Sources : exode1962.fr
Georges-Pierre Hourant, Ils ont tant aimé l’Algérie – Dix écrivains voyageurs à l’époque française, Editions Mémoire de Notre Temps, 2003. Jules Verne, Clovis Dardentor ; Editions Hetzel, 1896.
L’Echo de l’Oranie – N°356 – janvier-février